mardi 31 mars 2009

« Les jeux vidéo, nouvel empire du signe ? », notes de conférence


C'était le titre de la soirée Rencontre Multimédia proposée par Nicolas Rosette à l'ECM Kawenga, à Montpellier, le 25 avril 2006. J'étais invité à dialoguer avec Nicole Richard, enseignante et membre de l'équipe SAPHIR, CDTI de l'Inspection Académique de l'Hérault.

Je viens de retrouver mes notes d'intervention, dont je poste un résumé pour garder trace de cette soirée. Elle date de 3 ans, et pourtant, en entendant ce matin l'émission de « Service Public » sur France Inter consacrée aux jeux vidéo, je trouve que le débat évolue suffisamment lentement pour que ces propositions soient encore intéressantes.


1. Les jeux vidéo sont-ils bons ou mauvais pour...?

Le « Niveau Un » du débat sur les jeux vidéo consiste à les juger globalement, comme « bons » ou « mauvais » pour.. la jeunesse, la santé, la société, etc. Les joueurs étant généralement « pour », les non joueurs « contre »... Autrement dit, ceux qui les jugent « mauvais » sont le plus souvent ceux qui ne les connaissent que par une observation extérieure et rapide. Comme pour les goûts en nourriture, on peut dire qu'on n'est pas tenté, mais c'est impoli de dire que « ce n'est pas bon sans y goûter » !

Le « Niveau Deux » du débat intègre la variété extrême des jeux vidéo, et considère donc... qu'il y en a des bons, et qu'il y en a des mauvais... A ce niveau, distinguons trois strates axiologiques qui peuvent générer ce jugement définitif :
Première strate : celle du jeu.
Un jeu, en tant que système de règles et de valeurs, déploie une axiologie, qui est analysable avec une méthodologie sémiotique appropriée. Mais cette axiologie est nécessairement ouverte, car l'essence du jeu est de laisser une marge de liberté au sein d'un système cohérent.

Deuxième strate : celle du joueur.
Le joueur investit donc le jeu, y exprime sa liberté d'action, de projection, de subversion. Pour qu'il y ait jeu, il faut pouvoir détourner les objets, les règles, faire l’inverse de ce qui est demandé, ou choisir sa voie pour accomplir la quête… on peut y défouler sa violence, ou réussir sans tuer… enfin et surtout, on peut choisir son jeu en fonction de ses désirs. En effet, force est de constater que les joueurs excessifs sont généralement des pratiquants d'un seul jeu. La meilleure chose à leur conseiller ne serait-elle pas d'essayer d'autres jeux ?

Troisième strate : celle du « jugeur ».
Celui qui exprime un jugement sur un jeu, si du moins il a analysé les contenus propres aux jeux (1ère strate) ainsi que les différents types possibles d'investissement par les joueurs (2ème strate),
les réinterprète dans son propre cadre idéologique. Ainsi, tandis que des générations d'enfants ont appris avec le Monopoly à s'enrichir au détriment des autres (pour gagner, il fallait déposséder les autres joueurs de leurs maisons, leurs terrains, et leurs derniers centimes) sans que personne y voit du mal, chacun devrait aujourd'hui réfléchir à l'adéquation entre les valeurs qu'il défend et les jeux qu'il pratique (ou offre).

Enfin, le jeu est, structurellement, moins idéologique que le récit, car le jeu permet une infinité d'issues différentes, contrairement au film où c'est « toujours » le « gentil » (vecteur d'une idéologie propre) qui gagne.

Les jeux vidéo ne sont donc pas bons ou mauvais en soi ; ce que l'on peut estimer bon, c'est l'accès à une diversité d'expériences ludiques.


2. Quelques apports pédagogiques des jeux vidéo

A. L'apprentissage par essai/erreur.
Le jeu vidéo, en tant que programme, ne connait pas la lassitude du professeur. N'est-il pas urgent que les professeurs soient assistés par ordinateur ? Que leur apport soit plus pédagogique et relationnel, tandis que des programmes prendraient en charge l'évaluation et la correction des « fautes », que ce soit en Français, en mathématiques, etc. ? Une telle aide informatique pourrait révolutionner à la fois l'efficacité de l'enseignement et les conditions de travail des professeurs.

B. Le principe de réalité et l’acceptation de la contrainte

Les jeux vidéo nous obligent à accepter notre erreur, puisque ce n'est pas un jugement humain, subjectif, qui valide ou invalide nos actions, mais un programme objectif. Il est d'usage de perdre de nombreuses fois avant de gagner, ou de terminer un jeu vidéo. Cette pratique enseigne donc l'acceptation de la contrainte, l'acceptation de la défaite, et la persévérance, car si le programme est bien fait, l'effort est progressivement récompensé. Quant aux récompenses, elles sont purement symboliques (votre personnage est célébré, vous battez votre propre record, etc.), et sont pourtant très importantes pour la motivation et la confiance en soi. Encore des choses trop souvent absentes dans le système éducatif actuel.

C. Des modes non théoriques de construction du savoir
Les jeux vidéo développent la recherche de solutions face à un problème, via notamment la pensée inductive.
Exemple n°1 : les jeux de course automobile. Les premières secondes sont amusantes : on appuie sur un bouton, et le son du moteur rugit, tandis que la Formule 1 accélère sur la ligne droite du circuit... jusqu'à ce que l'habitacle aille percuter la première rambarde de sécurité du premier virage... Dans le jeu vidéo de course, on ne peut pas s'amuser sans intégrer la nécessité absolue d'anticiper suffisamment les virages, et plus généralement, les obstacles. Le joueur prend donc conscience du rapport conflictuel entre le plaisir et la réalité : au sein même du jeu vidéo, il faut savoir se maîtriser et se responsabiliser pour aller plus loin.

Exemple 2 : les jeux d'infiltration. Par exemple, Splinter Cell, où le joueur doit repérer les rondes effectuées par des gardiens, afin de trouver le moment où l'un d'eux se retrouve seul et donc vulnérable. Ces jeux développent la sagacité sémiotique. Le jeu consiste à chercher la structure sous-jacente d'un processus inconnu, pour le transformer en un processus signifiant, prévisible et maîtrisable, afin de le déjouer. N'est-ce pas une manière réfléchie d'interagir avec le monde ?

Les exemples de la portée universelle de l'expérience vidéoludique sont innombrables : les jeux de stratégie en temps réel entraînent à la prise de décision rapide en milieu hostile, les jeux d'aventure (de personnages humains ou d'aventures plus originales, telles Katamary Damacy ou Spore) nourrissent une conception évolutive de la personnalité, des groupes et des réalités. Les jeux où le joueur peut choisir entre plusieurs personnages en fonction de la situation développent des compétences en gestion des ressources humaines... D'autres jeux, notamment les MMORPG, exigent la collaboration de plusieurs joueurs pour achever certaines missions, donnant des pistes d'apprentissage de la gestion d'une équipe ayant des buts collectifs.

Mais derrière chaque jeu peut se cacher un entraînement intellectuel particulier : Super Bust A Move nous demandait d'éclater des bulles, mais au fond, il s'agissait de comprendre que le moyen le plus efficace de lutter contre un discours envahissant est de viser les présupposés de ce discours ; Donald Couak Attack nous apprenait à gérer les humeurs imprévisibles du célèbre canard, nous faisant réfléchir sur nos propres émotions et leur influence sur les quêtes que nous nous fixons.


3. Pistes pour une intégration des jeux vidéo dans le système éducatif

Les jeux vidéo pourraient devenir des supports précieux pour l'enseignement. Il s'agirait plus de créer des programmes adaptés que d'utiliser les programmes existants. Une telle démarche permettrait de réduire les inégalités socionumériques. L'accès aux loisirs numériques est actuellement un facteur fortement discriminant parmi les enfants et les jeunes (que ce soit pour des raisons économiques ou idéologiques).

Alors, à quand des cours construits autour d'un « niveau » à passer ? Les meilleurs auraient des missions bonus à réaliser, tandis que les élèves en difficulté pourraient solliciter l'aide personnalisée du professeur, en plus de l'aide personnalisée déjà programmée par l'ordinateur.

De plus, intégrer des jeux vidéo pédagogiques rendrait l'école moins logocentrique. Il est indispensable que les enfants apprennent les règles de la communication symbolique, visuelle, car la majeure partie des informations relayées, notamment par les médias et en premier lieu la publicité, utilise la communication visuelle plus que textuelle. Or les jeux vidéo fonctionnent sur des interfaces plurisémiotiques (associant ces différents systèmes de signes : verbal, visuel, sonore, etc.)

Conclusion : les jeux vidéo n'entraînent pas que les réflexes, mais développent des compétences « d'élite » : prise de décision, gestion de crise, analyse de systèmes, hyperadaptabilité... Il est souhaitable que le système éducatif donne à tous les mêmes chances d'acquérir ces compétences.

NB : Midi-Libre m'avait interviewé, cf. colonne ci-jointe. Je n'ai pas vraiment dit cela, mais il paraît que c'est toujours le cas en interview presse écrite.

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