samedi 18 mai 2019

Fake News le jeu, coopération et simulacre ludiques...

Oui, trop vite passe le temps quand on aime.
4 ans que le ludologue n'a pas posté de billet de blog,
pourtant il n'a pas chômé, pas que...

La principale réalisation, c'est ce nouveau jeu, Fake News Live (sorti il y a un mois), à découvrir sur fnewslive.com et sa page Fcbk

FNL vous transforme en présentatrices et présentateurs du JT, capables d'improviser sur n'importe quel sujet d'actualité (Yes, you can !) grâce à une mécanique très simple combinant le "poker menteur" et le "téléphone arabe".

Plusieurs pédagogues de l'éducation aux médias commencent à l'utiliser car, quand on y joue, on s'amuse, on dit un peu n'importe quoi parfois mais... cela fournit une matière richissime pour ensuite discuter de l'actualité et faire le point sur les processus de transformation et de manipulation de l'information. La fiche d'intervention pédagogique liée à l'usage de Fake News Live est donc en cours de réalisation, en lien avec plusieurs enseignants et intervenants qui partagent leurs expériences. 

Mais attention : avant d'être un outil puissant, c'est d'abord un jeu DE OUF ! Il faudra que j'écrive un article sur tout ce que Fake News Live fait résonner de notre époque, sur les réactions qu'il suscite, sur les moments d'empowerment qu'il génère (notamment pour tous ceux qui osent l'impro grâce à lui). 

Aujourd'hui, ce qui m'a motivé à écrire, c'est un grand triage de papiers, retrouver quelques notes ludologiques, souhaiter conserver trace de la pensée qui a eu lieu avant de jeter ces feuilles dans le sac jaune... Voilà donc, sous forme inachevée :
1. Pourquoi tous les jeux sont coopératifs
2. Comment distinguer simulacres stratégiques et passionnels


1. Pourquoi tous les jeux sont coopératifs 

Les jeux sont des formes complexes d'échanges épistémiques (= de savoir) :

D'abord, pensez à une situation ludique qui se passe bien.
Utilisons le schéma actantiel de Greimas pour en analyser la distribution des rôles.
Mon hypothèse est la suivante : le bon déroulement d'une partie dépend des rôles que veulent bien assumer les joueurs.

- Le rôle de destinateur (celui qui régit le récit ludique, fait appliquer les règles, atteste le vainqueur..) peut être incarné par tous les joueurs, ensemble, auquel cas il n'y a pas besoin d'arbitre extérieur. Par exemple, c'est rappeler une règle à qui l'oublie, vérifier qu'il n'y a pas de triche même dans son équipe, féliciter les gagnants à la fin. Assumer ce rôle est une composante fondatrice du comportement que l'on qualifiera de fair-play.

- les rôles de Sujet et d'anti-sujet (celui qui essaye de réussir sa quête, et celui qui, désirant la même chose, va s'interposer - donc, les "adversaires" dans la partie) sont en revanche des constructions élaborées à l'intérieur du récit ludique. Cette opposition n'a pas à sortir du cadre ludique posé par le destinateur.

Toute autre comportement actantiel risque de fragiliser le dialogue ludique et de nécessiter une médiation externe pour que le jeu ne perde pas son sens au profit de la violence.

Dans cette configuration où chacun assume son rôle de destinateur, et joue le rôle du sujet voulant gagner, l'échange ludique consiste alors en une compétition du don. Vaincre est alors synonyme de transmettre du savoir, donner une leçon.
Observons quelques cas :
- Quand un joueur bien plus fort qu'un autre accepte de jouer contre lui, il y a un déséquilibre de l'échange épistémique : l'un a donné plus de connaissance, et n'a pas pu de son côté tirer profit de cette situation. Cela peut être considéré comme un don : par exemple, quand un champion d'échec joue des simultanées lors d'un événement de promotion de son sport (et en retire tout de même un bénéfice d'image).
- Quand le Barça va jouer contre une équipe du Qatar, ce déséquilibre épistémique est compensé financièrement.
- voyez-vous d'autres exemples ?

Cette fonction du don et du contredon est particulièrement nette au tennis, malgré les apparences dues à la transformation médiatique du propos sportif (en effet les médias ont tendance à insister sur la dimension conflictuelle, à essentialiser les oppositions ludiques, pour raconter des histoires plus excitantes.. et certains sports la mettent en scène, pour obtenir plus d'attention et de financements).

Jouer au tennis, c'est d'abord essayer de maintenir l'échange, dialoguer sans faiblir, sans se laisser envahir. le partenaire de jeu m'apprend sans cesse où sont mes faiblesses, car il peut jouer dessus tant que je ne les corrige pas. Et ce processus est mutuel, c'est ce qu'on pourrait appeler la dynamique spéculaire de l'émulation.

Jouer consiste donc à chercher à se rendre maître, non d'un adversaire en particulier, mais de l'adversité en général, dont le partenaire de jeu joue le rôle aussi bien qu'il peut. Ainsi, "encaisser un but", c'est bien devenir redevable envers l'équipe adverse, de la "démonstration" qu'elle nous a faite de nos erreurs.

Les jeux s'affirment donc comme une catégorie du potlatch (cf. Mauss, le potlatch est une pratique traditionnelle de concours de cadeaux), à moins qu'il faille considérer le potlatch comme une forme d'expression ludique. C'est le joueur qui donne le plus, ou qui propose le plus de valeurs d'échange, qui se met en position de favori.

Voilà en quelques mots pourquoi je pense que la ludicité, sous sa forme brute (donc en dehors de tout contexte tels que l'exploitation financière, médiatique ou identitaire de son propos), est une expression fondamentalement coopérative.


2. Identifier l'explicite et l'implicite d'une partie et les simulacres stratégiques et passionnels qui en découlent.

L'étude des transcriptions de l'expression ludique montre la disproportion frappante entre l'explicite et l'implicite : pour un coup joué, combien de scénarios envisagés ? La sémiotique nomme cette activité symbolique qui précède l'expression : le simulacre.

L'entrelacs des simulacres stratégiques révèle la complicité qui se noue entre les partenaires du dialogue ludique. 

Mais il existe également une forme de simulacre, qualifié de passionnel, qui consiste à produire un dialogue intérieur avec ses simulacres stratégiques, remplaçant l'intersubjectivité par sa "projection". Ce simulacre présente l'intérêt d'être plus aisément contrôlable que l'actant dont il s'inspire...

Par exemple, les jeux de pur hasard permettent l'élaboration récursive voire délirante de scénarios superstitieux, qui seront parfois confirmés par le système, et ne pourront du moins jamais être totalement réfutés. 

La production de simulacres passionnels n'est pourtant pas nécessairement contre-stratégique. Dans le cas du pur hasard, elle n'a pas d'impact négatif sur la probabilité de gagner... 
Dans la perspective du coaching, il vaut mieux apprendre à les gérer et les orienter dans une direction propice, puisqu'on ne peut de toutes façons pas s'en débarrasser complètement... Tel l'entraîneur faisant sa causerie de vestiaire, on peut manipuler les simulacres passionnels pour stimuler l'énergie d'un groupe via des émotions constructives. Encourager, n'est-ce pas choisir d'éliminer les simulacres passionnels défaitistes, ou du moins en atténuer l'impact négatif sur les choix stratégiques ?

Les jeux offrent donc des dispositifs où peut s'exercer la maîtrise des combinaisons entre simulacres stratégiques et simulacres passionnels. Le noeud logique principal se trouve dans la relation jonctive (le désir d'obtenir quelque chose : le ballon, le point, la victoire...), permettant de faire l'expérience de la distorsion provoquée par les décisions passionnelles. Un seul exemple (les vôtres sont les bienvenus en commentaire !) : au Monopoly, il faut savoir dépenser ses billets rouges (disjonction) pour, plus tard, pouvoir construire des maisons rouges.

Par leurs récurrences et leur stabilité, les systèmes ludiques enseignent à articuler de façon efficace nos simulacres stratégiques et leurs courts-circuits passionnels, et par conséquent, la prise de risque (réaliser une disjonction potentialise une future conjonction) et l'anticipation du changement.

Ainsi, tous les jeux sont coopératifs, même si cette coopération est largement implicite, même si l'explicite de la partie peut ressembler à un conflit agressif ou enfantin 😉


lundi 6 avril 2015

Minimum Vital

Vite une perfusion ! Un article pour sortir ce blog de son coma !
En tant que docteur en ludologie, je souhaite être rassurant pour les familles : l'auteur va bien !
En ce Lundi de Pâques, nous pourrions même parler de résurrection !

2 ans et demi sans écrire d'article sur ce blog demandent une explication : où étais-je, avec qui, pourquoi ?
Non, en fait ce serait trop long…
En quelques mots : enseignant chercheur depuis septembre 2013 à l'Université de Poitiers, responsable pédagogique d'un Master 2 en Design de Communication et Packaging, localisé au CEPE à Angoulême, tout cela a ralenti la promotion du jeu d'improvisation Pur Week-End 2, ainsi que la sortie d'autres projets.
Ma réflexion s'est donc portée sur la gamification de l'enseignement supérieur, et c'est un sujet délicat mais dynamique ! Les MOOCS se développent sous des formes encore rustiques, les recherches sur les jeux vidéos s'intensifient, et la reconnaissance du statut culturel des jeux avance jour après jour, même si le statut d'auteur est encore inexistant et la TVA à 20% !

Ces jours-ci, je participe au lancement d'un concours de design visant à faire connaître aux étudiants de France ce lieu incroyable qu'est le Domaine de Boisbuchet. La dynamique ludique du concours offre plusieurs avantages : montrer la générosité du Domaine via la dotation de deux workshops d'une semaine en pension complète, et donc son intérêt sincère envers les étudiants français qui souhaiteraient faire ces workshops mais n'en ont pas forcément les moyens, mais aussi, générer de l'intérêt de la part de l'ensemble des étudiants (pas seulement ceux en design) à travers la dimension ouverte du concours, car la vision du design portée par le Domaine de Boisbuchet n'est pas celle d'un entre-soi, mais plutôt d'une responsabilité ouverte à tous de mieux accorder notre conception des choses avec ce que la nature nous propose et nous inspire.
La communication de ce concours est le résultat du travail de "mes" étudiants en design de communication, et notamment Valentin Charcellay, Alexandra Martin, Salomé Pardessus, ainsi qu'un étudiant de l'IUT, Romain Pottier. Bravo à eux !

Concernant d'autres projets ludiques, ils piaffent d'impatience dans mes cartons, et la vie à Angoulême me permet de rencontrer beaucoup de créateurs, d'illustrateurs, et bientôt, avec l'ENJMIN, de développeurs et de game designers… Les belles rencontres se succèdent, un réseau se met en place…

Et le temps s'éclaircit !


Domaine de Boisbuchet

samedi 29 septembre 2012

Sur l'échelle de la ludicité : création et gamification


Voici comme promis une version scannée de l'article publié pour la revue de communication du CNRS Hermès, dans le numéro 62 d'avril 2012.

Résumé : 
L'objectif de cet article est de présenter deux axes généraux d'analyse des jeux vidéo. Le premier axe précise les différents degrés de différenciation entre le play (paidia) et le game (ludus). Le second axe, la "composition actantielle", permet d'évaluer la relation nouée par le joueur avec la collectivité. La combinaison de ces deux critères révèle une forte polarisation entre deux expositions contemporaines : celle du Grand Palais à Paris (exposition Game Story) et le festival GamerZ d'Aix-en-Provence. Partant de cette observation, nous ferons l'hypothèse que le jeu vidéo ne suit pas le même rythme d'évolution dans les champs médiatiques et esthétiques.

Article scanné :







Sinon, vous pouvez aussi commander la revue ici !


samedi 18 août 2012

Pur Week-End 2, c'est dans la boîte !


Un petit mot d'été pour annoncer que nous avons mis, aujourd'hui (bon, en fait, ce sera demain si tout va bien) un point final à la réalisation de Pur Week-End 2.
Nous partons sur une édition à 4000 exemplaires, disponible en magasins le 1er octobre.  Soyez téméraires, sautez sur cette bombe ludique ! Vous pouvez les précommander sur purweekend.fr

Le pitch : racontez votre pur week-end, à partir de 12 cartes "Purs Moments" et "Moments de Magie", et ne vous laissez pas gâcher la fête par les cartes " Petits Plans Loose" et "Gros Plans Loose" que poseront sur votre week-end vos adversaires, aigris par votre sens du fun et de l'improvisation, et voulant eux-aussi raconter leur soit-disant pur week-end ! Le premier qui réussit à raconter son week-end jusqu'au bout a gagné !

Le jeu contient 72 Purs Moments, 18 Petits Plans Loose, 10 Gros Plans Loose, 5 Moment de Magie, tous différents, et 5 cartes "bi", totalement libres d'être utilisées comme GPL ou MM, et ouvertes à votre imagination fertile...

C'est un jeu qui descend un peu du singe, du Mille-Bornes, de Il était une fois, du Kamoulox, de viedemerde, et de tous les récits anti-héroïques.

Mais quel travail pour concevoir et réaliser un bon et beau jeu sur le thème du week-end !
Nous avons pas mal de nouveaux projets ludiques, mais ils vont devoir attendre, le temps de prendre quelques longs week-ends bien mérités !

Et en exclu mondiale, le visuel final de la boîte du jeu !




Bonne fin de grandes vacances et à bientôt pour des week-ends d'anthologie !


dimanche 20 mai 2012

Ludicité freemium

Le ludologue est sur la brèche !

Côté théorie, a été publié, dans le numéro 62 de la revue Hermès sorti fin avril 2012, un article intitulé : " Sur l'échelle de la ludicité : création et gamification ". 
Cet article a pour objectif principal de présenter deux axes généraux d'analyse des jeux, des pratiques ludiques et para-ludiques. Ces deux axes sont l'échelle de la ludicité et l'axe de l'actantialité. 

L'échelle de la ludicité présente 4 degrés de ludicité qui permettent de classifier les pratiques sociales selon que leur structure est plus ou moins fondée sur les principes du game design
En résumé : 
- le degré 1 consiste simplement à établir ou suivre des règles (d'imitation, par exemple).
- le degré 2 est atteint lorsque ces règles permettent d'identifier un "but du jeu".
- le degré 3 de ludicité se détecte lorsque l'activité concernée inclut un risque de défaite, d'élimination.
- Enfin, le degré 4 de ludicité inclut toutes les pratiques décernant une sanction positive. "Ces jeux sont fondés sur un accord préalable entre les joueurs pour définir les conditions de la victoire. L'ensemble des pratiques ludiques ainsi rassemblées forme ce que l'on appelle, au sens le plus restreint du terme, les jeux" (Aymeric d'Afflon, Sur l'échelle de la ludicité. Création et gamification, Hermès n°62, dir. Jean-Paul Lafrance et N. Oliveri, 2012, p.41). 


Précision : il n'y a bien sûr aucun jugement de valeur dans cette échelle. Rien ne dit qu'on s'amuse plus au degré 4 qu'au degré 1. Cet outil ne prétend pas atteindre la Vérité Absolue, mais, comme une règle, mesurer des écarts, tels que les déplacements de certaines pratiques sociales des degrés 1 ou 2 vers les degrés 3 ou 4, ou la stratégie freemium des casual games, donnant aux seuls usagers payants le droit de participer aux classements. Cette échelle fournit donc un outil d'analyse des phénomènes de gamification (ou "ludicisation").


Le second axe : l'actantialité, permet d'étudier la relation tensive entre individualisation et collectivisation dans les processus ludiques. "La position d'un jeu sur cette axiologie peut être évaluée en fonction de la réponse à cette question : quel pouvoir le jeu permet-il à l'individu de prendre sur le collectif, et inversement ?" (p.43).

Ces deux axes permettent d'observer quelques différences entre l'évolution des jeux vidéo commerciaux (à partir du corpus de l'exposition Game Story) et celle de l'art ludonumérique (à partir du corpus du festival GamerZ). Le tout à retrouver dans la revue Hermès !

Côté pratique, c'est Pur Week-End 2 qui est en cours de préparation. L'illustralissime Dorobinetta étant revenue d'Amazonie, nous mettons un point final à cette nouvelle version, qui n'est rien moins qu'une grenade de gaz hilarant jetée à la face du monde du jeu ! Il nous manque juste quelques sous pour assurer une édition de la meilleure qualité, fabriquée en France, écolo, belle et rebelle... Si vous voulez nous soutenir, le projet Pur Week-End 2 est présenté sur la plate forme de financement communautaire Ulule.fr, et tous les soutiens sont les bienvenus. En échange, nous avons préparé des avantages financiers énormes, des contreparties exclusives et des bonus collector !


lundi 29 août 2011

Reconversion n°2 : un Scrabble devenant arbre généalogique


Voici le résultat de mes devoirs de vacances. à l'occasion des 90 ans de mes grands-parents, ce petit film présente leur descendance en quelques coups de Scrabble (jeu traditionnel de nos soirées de campagne en famille).



Concernant Pur week-end, la pression de la grande distribution et des marchés internationaux risque de m'obliger à lancer très bientôt la deuxième édition. A suivre... ;)

Si vous traînez ici, qui sait, cela vous intéressera peut-être aussi :
http://www.ensci.com/blog/semiotique/

Bonne rentrée !

lundi 14 février 2011

Un moment de grâce


Angel Rooney Back To Commune With Us



et sinon, quelques nouvelles du ludologue : ouverture d'une consultation de ludologie (à vocation thérapeutique, incluant des prescriptions ludhoméopathiques). Compter 3 à 5 séances (individuelles et éventuellement collectives). Peut aider à préparer un défi !

Y tirera-t-on le Yi-king ? Y jouera-t-on au go ? Conseillerai-je un stage de conduite ? ou d'auto-tamponneuses ?
Pour toute question ou renseignement contactez-moi d'une manière ou d'une autre...